WATERLOO
Conférence du Général PACHABEYIAN | |
Le 17 il était à Auxerre, où il obtenait le ralliement du maréchal Ney et ce malgré la promesse que ce dernier avait faite à Louis XVIII de lui « ramener l'usurpateur dans une cage de fer ». Il atteignait Fontainebleau le 19 mars, le roi décidait alors de quitter Paris et Napoléon reprenait possession de son palais des Tuileries dés le lendemain soir. Suivant la promesse proclamée par l'Empereur à son débarquement, l'aigle aux couleurs nationales avait bien volé en 20 jours de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre- Dame.
Ainsi, alors que Napoléon pensait, en écrivant à chaque souverain européen une lettre dans laquelle il faisait part de son désir de paix et de son renoncement à tous les territoires acquis sous l'Empire, qu'il allait pouvoir reprendre son règne, les chancelleries européennes mirent immédiatement la France en quarantaine, ne daignant même pas répondre à sa correspondance ou la retournant sans l'avoir décachetée comme le fit le prince-régent d'Angleterre. Dans ces conditions il ne restait plus à Napoléon qu'à se préparer à la guerre, ce qu'il entreprit de faire en remettant sur pied, avec l'aide du maréchal Davout, une armée qui avait été licenciée ou mise en demi-solde par les Bourbons.
Face à une Europe coalisée, décidée à lui faire la guerre pour le mettre définitivement hors d'état de nuire, Napoléon allait montrer que ses qualités de stratège étaient intactes, tout au moins en ce qui concerne la conception des opérations, car en revanche, il allait commettre ou laisser commettre au niveau de l'exécution des erreurs qui causeront sa perte.
C'est ce que nous allons examiner en étudiant successivement
- le plan de campagne de Napoléon,
- les combats de Ligny et des Quatre-Bras le 16 juin,
- les occasions perdues du 17 juin,
- la bataille décisive à Waterloo, le 18 juin
- et pour conclure les conséquences de la défaite.
I°- Le plan de campagne de Napoléon.
11- Le rapport de forces entre les Alliés et la France.
A cela s'ajoute une armée austro-piémontaise, mais elle est occupée à lutter contre le roi de Naples Joachim Murat qui essaie de conserver son trône et une armée espagnole susceptible de franchir les Pyrénées.
Napoléon peut leur opposer les armées de Rapp, Lecourbe et Suchet à l'est, de Brune, Decaen et Clauzel au sud, et celle de Lamarque dans l'ouest, face aux velléités de révolte des vendéens toujours fidèles aux rois. Mais l'essentiel de son corps de bataille est constitué par l'Armée du Nord, forte de 122.000 hommes qu'il doit prendre directement à ses ordres.
12- La conception stratégique de Napoléon.
Renseigné sur le dispositif adverse par des informations provenant de Belgique, l'Empereur décide de marcher sur Charleroi et de combattre séparément les Anglais sur Bruxelles et les Prussiens sur Namur. Il escompte que Wellington battu se repliera sur Anvers pour rembarquer vers l'Angleterre et que Blücher battu repassera le Rhin.
Dans les premiers jours de juin, il concentre son armée sur la frontière nord à hauteur d'une ligne Maubeuge-Beaumont-Philippeville. Le 12, il quitte Paris pour se mettre à la tête de ses troupes.
II°- Les débuts de la campagne.
Napoléon le reçoit cordialement en lui disant: « Bonjours Ney, je suis bien aise de vous voir. Prenez le commandement des 1er et 2éme Corps, je vous donne aussi la cavalerie légère de ma Garde, demain vous serez rejoint par les cuirassiers de Kellerman. Allez, poussez l'ennemi sur la route de Bruxelles et prenez position aux Quatre-Bras ».
Cette scène est assez étonnante, voilà un maréchal plus ou moins en disgrâce que l'on invite à venir participer, s'il le veut, à une bataille où va sans doute se jouer le sort de l'Empire, on lui donne le commandement de 45.000 hommes, avec pour seul consigne de prendre position aux Quatre-Bras sans savoir ni quand ni pourquoi. Il ne connait rien du plan de campagne de l'Empereur, il ne sait pas quel ennemi il a en face de lui, il n'a pas d'état-major pour préparer et diffuser ses ordres. En bref, c'est une complète improvisation et les erreurs dramatiques que va commettre ce maréchal de France, sans être excusables sont pour le moins compréhensibles.
C'est à ce moment que l'Empereur apprend la désertion du Général Comte de Bourmont, commandant une division du 6éme Corps, il passe à l'ennemi avec une partie de son état-major. Royaliste de cœur, « il ne voulait pas contribuer à rétablir le despotisme en France ». Même si Blücher refusera de lui parler, disant: « Même si il change de cocarde, un jean-foutre sera toujours un jean-foutre « , il est vraisemblable qu'il fournira aux Prussiens des renseignements sur le plan de campagne de Napoléon. Mais surtout sa désertion renforcera le doute qui régnait dans le camp français concernant la fidélité des officiers envers l'Empereur, les soldats ayant tendance à voir partout des traitres en puissance. Bourmont connaitra par la suite une brillante carrière sous la Restauration, c'est en particulier lui qui commandera l'expédition d'Alger en 1830.
Simultanément Grouchy, commandant la réserve de cavalerie, mais chargé par l'Empereur de coiffer l'aile droite, a refoulé les Prussiens du Ier corps du général von Ziethen, mais ne pouvant atteindre Sombreffe avant la nuit, il décide avec l'accord de Napoléon de faire bivouaquer ses troupes à hauteur de Fleurus.
Le 15 soir, le pari de Napoléon est en partie tenu, il a séparé Wellington de Blücher, sans pour autant conquérir les objectifs qu'il s'était fixé, à savoir les carrefours des Quatre-Bras et de Sombreffe.
Dans la matinée du 16, Blücher qui a décidé d'accepter la bataille déploie son armée en avant de Sombreffe, seul manque le corps de von Bülow attardé sur la route de Namur. Il aligne donc environ 85.000 hommes. Le vieux feld-maréchal von Blücher, âgé de 73 ans, surnommé « général en avant » par ses soldats est plus un sabreur qu'un grand stratège, il a conscience de son peu d'efficacité dans la haute direction de la guerre et s'appuie sans complexe sur un homme d'exception le lieutenant général von Gneisenau, un des principaux architectes de la réforme militaire prussienne, devenu major général de l'Armée. A noter, pour la petite histoire, que le chef d'état-major du 3 éme corps prussien est le colonel Karl von Clausewitz.
C'est à 08h00 que Napoléon alors à Charleroi, est prévenu par un message de Grouchy que de fortes colonnes ennemies débouchent de la route de Namur de part et d'autre de Ligny pour renforcer le corps de Ziethen. L'empereur se porte immédiatement sur place et du haut du moulin à vent de Fleurus, constate que Blücher accepte la bataille. N'ayant qu'environ 70.000 hommes à opposer aux 85.000 prussiens, il demande à Ney de le soutenir en lui envoyant le 1er Corps de Drouet d'Erlon pour « envelopper la droite ennemie et tomber à bras raccourcis sur les arrières ». Le maréchal Soult, major général, ajoute « Cette armée est perdue si vous agissez vigoureusement. Le sort de la France est entre vos mains ». La bataille débute à 15.30, les troupes françaises repoussent, peu à peu, mais avec difficulté les Prussiens en attendant l'arrivée du 1er Corps qui doit envelopper et détruire l'aile droite de Blücher. Le 1er Corps n'arrivera jamais; Soult pour gagner du temps a fait porter l'ordre directement à d'Erlon sans passer par Ney. Quand d'Erlon arrive à hauteur de Ligny, il est rattrapé par un messager de Ney qui lui intime l'ordre de retourner aux Quatre-Bras. Discipliné d'Erlon exécutera l'ordre de son supérieur hiérarchique. Les 20.000 hommes du 1er Corps auront donc passé l'après midi en allers et retours entre les deux champs de bataille sans pouvoir être engagés. Faute de Napoléon trop confiant vis à vis de ses subordonnés, faute de Soult pas assez précis dans la rédaction des ordres, faute de Ney qui fait preuve d'indiscipline, qu'importe une manœuvre qui devait aboutir à une victoire décisive sur les Prussiens a échoué.
Blücher ayant récupéré après avoir bu un magnum de Champagne et s'être fait massé avec de l'ail et du schnaps, approuvera la décision de son chef d'état-major. La nuit est tombée, les Prussiens malmenés quittent le champ de bataille, mais en bon ordre, ils vont prendre une direction qui les rapproche de Wellington. Contrairement à ce pense avec optimisme Napoléon, ils ne sont pas en déroute et ne s'enfuient pas vers le Rhin.
23 – Le 17 juin matin, la situation est la suivante:
Vers 11.00 heures, il prescrit au général Mouton, de se porter avec le 6éme corps, par la route de Namur, en direction des Quatre-Bras, pour prendre en tenaille les Anglais. Avant de quitter Ligny, à la tête de la Garde pour suivre Mouton, il dit à Grouchy: « Pendant que je vais marcher contre les Anglais, vous allez vous mettre à la poursuite des Prussiens. Vous aurez sous vos ordres les corps de Vandamme et de Gérard, la cavalerie de Pujol et d'Exelmans ». Henry Houssaye, dans son excellent ouvrage Waterloo paru en 1905, écrit: « Dés le premier instant, Grouchy sentit le poids plus que l'honneur de cette mission. Au cours de sa longue carrière, il n'avait jamais exercé un si grand commandement. C'était comme général de cavalerie qu'il avait accompli ses faits d'armes et conquis sa renommée. Il était l'homme d'une seule heure, d'une seule manœuvre, d'un seul effort. Tacticien, mais tacticien momentané, local et spécial, il n'était pas fait pour la conduite et la responsabilité des opérations stratégiques et de plus il était conscient de son infériorité comme commandant d'armée agissant isolément. Ce sentiment allait le paralyser ». Trois quart d'heure plus tard, Napoléon précisera par écrit les instructions verbales qu'il venait de donner au maréchal Grouchy en lui intimant: de concentrer ses forces à Gembloux, point intermédiaire entre Namur et Wavres, de s'éclairer vers Namur direction probable mais non certaine de la retraite prussienne, de se mettre à la poursuite des Prussiens et en les suivant de pénétrer leurs desseins pour savoir en particulier si Blücher avait pour objectif de se réunir aux Anglais.
Napoléon s'engage alors sur la route des Quatre-Bras, avec la Garde pour monter sa manœuvre contre les Anglais. Dans la matinée Wellington apprenant la défaite de Blücher à Ligny se sent exposé à une attaque combinée de Ney sur son front et de Napoléon sur sa gauche; il décide de retraiter pour aller occuper le plateau de Mont-Saint-Jean, forte position défensive qu'il avait reconnu l'année précédente et d' y livrer bataille à condition que les Prussiens puissent lui prêter main forte. Il sollicite Blücher qui lui répond qu'à l'aube du 18, le corps de von Bulow qui n'avait pas participé à la bataille de Ligny, puis le corps de von Pirch, se mettraient en route, en mesure de déboucher dans l'après-midi sur le flanc droit des Français. Les divisions anglaises commencent leur retraite, couvertes et masquées par les 10.000 cavaliers du lieutenant-général lord Uxbridge.
Quand Napoléon arrive aux Quatre-Bras à 14.00 heures, il lance deux divisions de cavalerie, suivies du corps de d'Erlon à la poursuite des Anglais. A ce moment éclate un orage d'une violence exceptionnelle, la poursuite se déroule sous une pluie effroyable rendant très difficile toute progression hors de la route. Vers 18.30 heures, Napoléon à la tête de son avant garde atteint les hauteurs de la Belle Alliance en face du plateau de Mont-Saint-Jean où Wellington a arrêté son armée. Un bref duel d'artillerie s'engage, Napoléon voulant par là évaluer le volume approximatif des forces face à lui. La nuit approchant, les corps de Reille et Mouton étant très en arrière, l'Empereur fait cesser le feu et mettre ses troupes au bivouac. Il a compris que ce ce n'est pas une arrière garde qui lui fait face , mais l'ensemble de l'Armée anglaise.
III – La bataille décisive le 18 juin 1815.
1 – Le champ de bataille et les forces en présence.
Si Victor Hugo a qualifié, dans son poème « l'Expiation » Waterloo de « morne plaine », ce doit être ce que l'on appelle une licence poétique; d'ailleurs il s'est empressé d'ajouter, deux vers plus loin, « dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons », ce qui correspond beaucoup plus à la réalité. En effet, les plateaux de la Belle Alliance et de Mont-Saint-Jean, d'une altitude moyenne de 130 mètres, s'élèvent parallèlement d'est en ouest, ils sont séparés par un vallon, d'altitude moyenne de 100 mètres. La route Charleroi-Bruxelles traverse le champ de bataille suivant un axe nord-sud. A gauche et à droite de la route, c'est une succession de mamelons et de creux. Le chemin d'Ohain à Braine l'Alleud, suit grosso modo la crête du plateau de Mont-Saint-Jean, à l'est il est au ras du sol mais bordé de haies vives qui rendent sa traversée difficile. A l'ouest de la route, sur 400 mètres environ, il forme un chemin creux de 2 à 3 mètres de profondeur facile à défendre, même si Victor Hugo en a exagéré l'importance. En arrière de la crête, le terrain s'incline vers le nord, permettant aux troupes de seconde ligne d'échapper aux vues de l'adversaire et d'être ainsi protégées des feux. Trois « brises lames », comme les a dénommées Wellington, se dressent à mi-pente :
- le château d'Hougoumont avec ses communs, son verger et son bois,
- la ferme de la Haie Sainte, bâtiment massif bordée elle aussi d'un verger et adossée à une sablière,
- l'ensemble ferme de la Papelotte et hameau de Smohain.
En résumé, ce terrain est favorable à la défensive et permet des contre-attaques dont la mise en place peut se faire à l'abri des vues.
Sur son aile gauche une division anglaise couverte par deux brigades de cavalerie. Le centre et l'aile droite sont déployés sur deux lignes germano anglaises soutenues par l'essentiel de la cavalerie lourde. En arrière une réserve à base de troupes allemandes et hollandaises. Très à l'ouest, la division hollandaise de Chassé pour s'opposer à un éventuel débordement. Assuré de l'aide des Prussiens, Wellington est confiant. Proche de la troupe, actif et imperturbable sur le champ de bataille, il combattait en tenue de chasse, un chapeau civil sur la tête et le bon mot toujours aux lèvres. Lorsque Lord Uxbridge, commandant la réserve de cavalerie, vint le voir le 17 soir pour lui demander ses intentions pour le lendemain, le duc lui répliqua par une question :
- « Qui attaquera demain, Bonaparte ou moi ? »
- « Bonaparte » répondit Uxbridge
- « Bien, poursuivit le duc, Bonaparte ne m'a pas informé de ses plans, et comme les miens dépendent des siens, comment voulez vous que je puisse vous en parler ? »
Mais voyant la perplexité et un certain dépit sur le visage de son interlocuteur, il lui posa familièrement une main sur l'épaule et lui dit : « Il n'y a qu'une chose certaine, mon cher, c'est que quoiqu'il arrive demain, vous et moi nous ferons notre devoir ».
En réserve la Garde Impériale avec aux ordres de Drouot, les 3 divisions d'infanterie (Jeune Garde, Moyenne Garde et Vieille Garde) soit 13.000 grenadiers et chasseurs d'élite et enfin, aux ordres de Guyot, la division de cavalerie lourde soit 1600 grenadiers à cheval et dragons. En fin de matinée, l'Empereur fait mettre en place ce qu'il nomme la « grande batterie », formée de l'artillerie du 1er corps renforcée par les batteries lourdes des 2éme et 6éme corps soit un total d'environ 80 tubes pour affaiblir les défenses anglaises avant l'attaque.
2- Pendant ce temps là Grouchy....
Il est midi, le Maréchal en est au désert ,il mange des fraises lorsque retentit au Nord-ouest un fort bruit de canonnade. Le général Gérard, commandant le 4éme corps arrive avec ses officiers et des habitants du village. « Il faut marcher au canon » déclare-t-il. Grouchy lui répond qu'il s'agit sans doute de l'arrière-garde laissée par Wellington pour couvrir sa retraite sur Bruxelles. Mais le feu devient plus vif et plus nourri, indiquant que deux armées sont aux prises. « La bataille est au Mont-Saint-Jean à la lisière de la forêt de Soignes, vous y serez dans quatre ou cinq heures de marche »dit un paysan que Gérard avait choisi comme guide. « Il faut marcher au canon » répète Gérard, « Il faut marcher au canon » répètent tous les officiers présents. Grouchy, vexé, rétorque que si l'Empereur avait besoin de lui il le lui aurait fait savoir. Gérard s'entête « Monsieur le Maréchal, il est de votre devoir de marcher au canon ». Offensé qu'un subordonné lui fasse la leçon devant une vingtaine d'officiers, Grouchy demande ses chevaux pour partir vers Wavres. Au moment où il monte en selle, Gérard risque une dernière tentative: « Permettez moi au moins de faire mouvement avec mon corps d'armée vers la forêt de Soignes, je suis certain d'y arriver en temps utile ». « Non, répond Grouchy, cela serait une faute impardonnable que de diviser mes forces » et cela dit, il s'éloigna au galop. A partir de cet instant le sort de la bataille était pratiquement scellé.
3- L'attaque et l'échec du 1er corps de Drouet d'Erlon.
Ce 18 juin matin, Napoléon a l'air confiant, même si les fortes pluies de ces dernières heures ont détrempé le terrain, favorisant la défensive et rendant difficile la mise en place des pièces d'artillerie, ce qui retarde le début des hostilités. Lorsque le maréchal Soult et le général Reille lui font part de leurs inquiétudes au moment d'engager le combat, il les accueille avec condescendance.
Reille : « Bien postée comme Wellington sait le faire et attaquée de front, je regarde l'infanterie anglaise comme inexpugnable en raison de sa ténacité et de la supériorité de son tir. Mais l'armée anglaise est moins agile, moins souple, moins manœuvrière que la notre. Si on ne peut la vaincre par une attaque directe, on peut le faire par des manœuvres ». Napoléon, impatienté et peut être irrité par cette prise de position d'un général devant tout son état-major, rétorque vivement : « Parce que vous avez été battu par Wellington, vous le considérez comme un grand général. Et moi, je vous dis que Wellington est un mauvais général, que les Anglais sont de mauvaises troupes et que ce sera l'affaire d'un déjeuner ». « Je le souhaite de tout coeur », répond Soult.
Pendant ce combat préliminaire, Napoléon prépare son offensive principale. Avant de donner l'ordre à la grande batterie d'ouvrir le feu, il fait avec sa longue-vue un dernier tour d'horizon du champs de bataille et aperçoit sur sa droite, à hauteur de la Chapelle Saint Lambert, village distant de 7 ou 8 kilomètres, quelque chose ressemblant à une troupe en mouvement. Ce ne pouvait être Grouchy, son message de 06.00 heures indiquant qu'il quittait Gembloux pour Walhain, mais plus vraisemblablement les avant-gardes d'un corps prussien, cette hypothèse fut presque immédiatement confirmée par un hussard prussien fait prisonnier, porteur d'un pli de Bülow à Wellington, annonçant l'arrivée de ses avant-gardes à la Chapelle Saint Lambert. Napoléon expédie aussitôt un message à Grouchy qui se termine par ces mots : « une lettre qui vient d'être interceptée porte que le général Bülow doit attaquer notre flanc droit. Nous croyons apercevoir ce corps sur les hauteurs de Saint Lambert. Ainsi ne perdez pas un instant pour vous rapprocher de nous et écraser Bülow que vous prendrez en flagrant délit ». L'Empereur prit incontinent des mesures pour protéger le flanc de l'armée. Les divisions de cavalerie légère de Domon et Subervie, furent détachées sur la droite afin d'observer l'ennemi et de prendre contact, le cas échéant, avec Grouchy. Mouton reçut l'ordre de porter le 6éme Corps derrière cette cavalerie dans une position où il pourrait contenir les Prussiens. Napoléon semble être resté confiant, il dit à Soult : « Nous avions ce matin quatre vingt dix chances pour nous. Nous en avons encore soixante contre quarante. Et si Grouchy répare l'horrible faute qu'il a commise en s'amusant à Gembloux et marche avec rapidité, la victoire en sera plus décisive, car le corps de Bülow sera entièrement détruit ».
Il était environ 13.30 quand Napoléon donna l'ordre à Ney de déclencher l'attaque. La batterie de quatre vingt pièces commença un feu très fourni sur les positions anglaises entre la Haie Sainte et la Papelotte. Bien que spectaculaire cette canonnade ne causa pas de pertes très importantes chez l'ennemi, Wellington faisant reculer ses troupes à contre pente et le terrain détrempé bloquant les boulets sans permettre les ricochets. Au bout d'une demi-heure, l'artillerie suspendit son tir pour laisser passer l'infanterie de d'Erlon. Sous le commandement de Ney, le 1er Corps s'ébranle; les 16.000 hommes, descendent, sous les feux de l'artillerie anglaise, vers le creux du vallon et remontent la pente du plateau. La progression est difficile dans la boue et les seigles trempés. Le dispositif adopté par d'Erlon est un peu surprenant puisque il a organisé ses divisions en colonnes fermées ce qui nuit au déploiement rapide en ligne pour augmenter la puissance de feu ou en carré pour s'opposer aux charges de cavalerie. Les quatre divisions arrivent à hauteur du chemin d'Ohain et coiffe la crête, elles sont accueillies par la fusillade anglaise, s'arrêtent pour se redéployer et riposter plus efficacement. Il s'en suit un désordre que le général Picton exploite en déclenchant le feu des bataillons écossais, les célèbres Highlanders , surnommés à cause de leur kilt, « les sans culottes » par les soldats français.
4 – L'attaque prématurée de Ney à la tête de la cavalerie.
Vers 16.00 heures, Napoléon donne de nouveau à Ney l'ordre de s'emparer de la Haie Sainte. Le général d'Erlon rallie ses bataillons, plus ou moins éprouvés, les Français repartent à l'assaut du plateau et la Grande batterie reprend son pilonnage en le concentrant sur le centre anglais. Pour réduire les pertes les bataillons anglais reculent à nouveau à l'abri de la contre-pente. Ney, se méprenant sur ces mouvements qu'il voit mal à travers la fumée, croit à un commencement de retraite de l'armée anglaise et décide de prendre pied sur le plateau avec la cavalerie pour enfoncer définitivement le front de Wellington.
Aussitôt, Wellington pousse en première ligne la quasi totalité de ses réserves et déploie, en quinconce, entre la route de Nivelles et la route de Bruxelles vingt bataillons formés en carré, précédés de toute l'artillerie disponible . Les cuirassiers gravissent péniblement les pentes grasses du plateau, subissant les feux de l'artillerie .
5 – L'engagement des Prussiens
6-L'attaque de la Garde et la déroute.
A 19.00 heures Napoléon juge que la situation est grave mais pas désespérée : l'engagement de deux bataillons de la Vieille Garde a permis de reprendre Plancenoit face à Bülow qui est jusqu'à présent le seul corps prussien identifié. Napoléon est en droit de penser que Grouchy arrête le reste de l'armée de Blücher à hauteur de Wavres. Face à Wellington, la division de Durutte du 1er Corps prend la Papelotte et gravit le plateau en repoussant les tirailleurs néerlandais de Perponcher. De part et d'autre de la Haie Sainte, conquise par les Français, la gauche du 1er Corps et la droite du 2éme Corps pressent fortement les Anglais sur le chemin d'Ohain. La ligne ennemie paraît ébranlée, l'empereur présume que Wellington a engagé toutes ses réserves. Il lui reste deux heures de jour pour en finir. Il décide d'engager la Garde et ordonne à Drouot d'en faire avancer neuf bataillons sur les treize restants. Il se met à la tête du premier carré et descend de la Belle Alliance vers la Haie Sainte. Hélas pour lui, c'est le moment où Ziethen, à la demande pressante de Wellington et ayant réuni enfin la totalité de son corps d'armée, débouche le long de la lisière sud de la forêt de Soignes, à hauteur du village de Smohain. L'armée française est dès cet instant prise dans un étau anglo-prussienne; cette nouvelle risquant de susciter la panique, Napoléon donne l'ordre d'annoncer que c'est Grouchy qui arrive. Cette fausse nouvelle que beaucoup critiqueront, un chef ne ment pas à ses hommes, ravive la confiance et l'enthousiasme des Français. Apercevant Ney à hauteur de la Haie Sainte, Napoléon lui donne le commandement des cinq carrés de la Moyenne Garde, gardant sous ses ordres directs les quatre bataillons de la Vieille Garde. Cette décision peut surprendre, alors que depuis 48 heures, Napoléon critique les actions de Ney, il s'en remet à lui pour l'attaque de la dernière chance.
La légende dit que c'est Wellington en personne qui commanda : « Stand up guards and shoot them » ; à la première décharge 300 hommes tombent à terre dont le général Michel, commandant les chasseurs de la Garde. Les témoins disent qu'ils ont eu la sensation que les carrés français étaient ramenés en arrière par la puissance de feu. Les guards donnent l'assaut à la baïonnette et les deux carrés de chasseurs commencent à se désagréger. Le carré du 4éme Grenadier le plus à gauche, s'arrête et fusille les foot guards, mais les fantassins de la brigade Adam placés en potence, se dévoilent à leur tour sur le flanc des grenadiers et les tirent à bout portant. Alors se produit cette chose d'inouïe : avant de parvenir au contact, devant la force du feu britannique, conscients d'arriver trop peu nombreux sur des obstacles trop bien défendus, les grognards hésitent. Les Anglais tirent encore, chasseurs et grenadiers fléchissent et commencent à reculer. Un cri jaillit sur l'ensemble du front : « La Garde recule », suivit de « Nous sommes trahis » quand les hommes de Durutte se rendent compte que ce n'est pas Grouchy mais Ziethen qui débouche de Smohain. L'armée française se désagrège, toutes les troupes engagées redescendent en désordre du plateau.
Napoléon, accompagné de ses plus proches collaborateurs, Bertrand, Soult, Mouton et Drouot se replia au sein d'un carré de la Vieille Garde jusqu'à la ferme du Caillou, là il les quitta pour regagner la France escorté par les survivants d'un escadron de chasseurs à cheval de la Garde. Le 21 juin il était à Paris au Palais de l'Elysée, où se joua le dénouement de l'Empire.
IV – Les raisons de la défaite.
Depuis 200 ans, historiens et stratèges se penchent sur la bataille de Waterloo pour analyser les raisons de cette défaite. Il y a les pro Napoléon comme Adolphe Thiers et Henry Houssaye qui exonèrent l'Empereur de toute faute en rendant responsables ses grands subordonnés. Il y a les anti Napoléon tel Bernard Coppens, dont la virulence nuit quelque peu à la crédibilité et il y a enfin ceux qui font preuve d'objectivité dans leur jugement comme Jean Tulard, Alessandro Barbero et Thierry Lenz.. Il est donc hasardeux de définir une vérité méritant d'être inscrite dans le marbre de l'Arc de Triomphe ou dans le bronze de la Colonne Vendôme. Une certitude cependant, Napoléon est responsable de la défaite de Waterloo comme il est responsable des victoires d'Austerlitz, Iena ou Friedland. Car si la victoire apporte au chef mérite et gloire, la défaite lui apporte démérite et opprobre. C'est l'essence même de l'exercice du commandement.
Pourtant, Napoléon avait conçu une manœuvre stratégique brillante : séparer ses adversaires et les battre successivement, mais ce faisant il prenait des risques car pour réussir, cette manœuvre devait être menée à la perfection par les exécutants, le moindre accroc pouvant avoir des conséquences dramatiques.
De même, aucune flanc garde ne sera déployée en direction de Wavres. Les généraux Bülow et Ziethen seront surpris d'arriver sur le champ de bataille sans avoir rencontré le moindre soldat français , c'est seulement vers midi, une fois les Prussiens repérés à la Chapelle Saint Lambert, que Napoléon prendra ce danger en compte.
On a pu reprocher à Napoléon de ne pas avoir manœuvré pour déstabiliser l'armée anglaise, mais il est vrai que la configuration du terrain choisi par Wellington ne se prêtait pas à de larges mouvements de débordement. La seule véritable manœuvre de Napoléon fut l'attaque de d'Erlon sur l'aile droite, mais comme elle connut une conclusion inattendue et peu glorieuse, la bataille se transforma en une série de chocs frontaux dont les défenseurs allaient sortir vainqueurs. Devant l'obstination de Napoléon a passer par le centre, le duc qui était un passionné de boxe, laissa échapper ce commentaire peu flatteur : « Au diable, après tout ce n'est qu'un cogneur », dit-il, presque un peu déçu que son adversaire ne se montre pas à la hauteur de sa réputation. D'ailleurs quelques temps après, comme on lui demandait son avis sur la bataille, il répondit très brièvement : « Il m'a attaqué de manière classique et je l'ai battu de manière classique ».
Conclusion.
Pour conclure, je voudrais dire quelques mots sur les conséquences de cette défaite. Waterloo est l'exemple même de la bataille décisive car non seulement elle met fin à une guerre mais elle met fin également à une période historique, la Révolution française et l'Empire. Après une parenthèse de 26 années, la Monarchie reprend ses droits,
L'Autriche et la Russie n'étaient pas à Waterloo et la gloire d'avoir vaincu Napoléon et d'avoir ramené la « grande nation » au rang d'une puissance moyenne leur échappe. Mais les Prussiens étaient là, ils ont participé à la victoire et sans doute sauvé l'Armée anglaise. Ce sont Wellington et Blücher qui se donnent l'accolade des vainqueurs devant la « Belle Alliance », mais cette accolade est, à plus ou moins long terme, un marché de dupes pour l'Angleterre, elle a bien déboulonné la France de son piédestal en Europe continentale, mais ce faisant elle a ouvert la porte à la Prusse, petite puissance qui peu à peu va avaler les autres états allemands et contester la domination anglaise. Mais comme l'a dit un célèbre auteur anglais « ceci est une autre histoire ».