Le Maréchal JUIN |
Depuis maintenant trois ans à l'occasion de la commémoration de la fin de la guerre 1939-1945 nous avons choisi d'évoquer des personnages qui ont marqué cette période. Cette année c'est la découverte du Maréchal Juin qui est proposée. A travers ces diverses évocations c'est une page de l' histoire de notre pays qui s'ouvre sur la deuxième guerre mondiale. Mieux connaître notre histoire c'est en comprendre la complexité.
À l’exception de quelques généraux au sommet de la hiérarchie, qui se souvient encore d’Alphonse Juin, l’un des quatre maréchaux de la seconde guerre mondiale, avec Leclerc, De Lattre et Koenig ? On pense, évidemment, à la campagne d’Italie. Les amateurs d’anecdotes historiques savent encore qu’il était autorisé à saluer du bras gauche, à la suite d’une blessure reçue au bras droit durant la première guerre mondiale. Ou qu’il tutoyait le général de Gaulle, de la même promotion de Saint-Cyr.
Fils de gendarme en poste à Mostaganem , Alphonse Juin est né à Bône en Algérie le 16 décembre 1888. Il fait ses études secondaires aux lycées d'Alger et de Constantine. Élève brillant il est admis en 1910 à la 94° promotion de Saint-Cyr dont il sortira major en 1912.
Peu inquiète au départ, la France prend conscience du danger de cette République hors du commun : c’est une menace directe sur son protectorat marocain, mais aussi sur l’Algérie voisine. Si rien n’est fait, les Maghrébins pourraient se soulever en masse contre l’autorité coloniale. En 1924, le maréchal et résident général Hubert Lyautey accompagné de Pétain (dont les portraits apparaissent au centre respectivement en bas à gauche pour Lyautey et en bas à droite pour Pétain) décident de mener une offensive en collaboration avec le général Espagnol Primo de Rivera (en bas à droite sur la diapo) pour arrêter Abdelkrim, et mettre fin à l’humiliation espagnole. Le 27 mai 1926, le chef berbère Abdelkrim se rend aux troupes françaises. Sa reddition met un terme à cinq ans de lutte anti coloniale dans le Rif.
Lyautey remplacé sur le terrain, démissionne de ses fonctions de résident général et rentre en France le 13 octobre 1925 .Juin accepte de le suivre comme chef de Cabinet. Ce choix n'est pas sans conséquence : l'antagonisme Pétain – Lyautey fait apparaître des clivages qui vont se révéler tenaces: de Gaulle – Juin en sont l'illustration .
La page marocaine se tourne à nouveau. Le Lieutenant colonel Juin rejoint la chaire de tactique générale à l’École de Guerre mais un poste à Paris n'est pas vraiment sa tasse de thé et au bout d'un an il ne pense qu'à retraverser la Méditerranée d'autant que le poste d'adjoint au 3° régiment de Zouaves se libère et qu'il en prendra le commandement le 6 mars 1935. A la fin de son temps de commandement,en Mars 1937, le voici à nouveau convoqué à la Résidence Générale du Maroc pour prendre la direction des Affaires Indigènes. Ses états de service sont tels qu'il est proposé pour la liste d'aptitude à 48 ans et il est retenu pour le Centre des Hautes Études Militaires.
Prisonnier de guerre, le Général Juin avec d'autres généraux est conduit et incarcéré à la forteresse de Koënigstein , véritable nid d'aigle, située près de la frontière Tchèque. (C'est d'ailleurs de ce lieu que s'évadera le Général Giraud) . Les dénigreurs de Juin, catalogué d'anti gaulliste, vont l'accuser d'avoir pactisé avec le Reich pour obtenir sa libération de captivité. En fait, Juin, loyaliste, a toujours affirmé son soutien au gouvernement de Vichy et c'est ce dernier qui a demandé aux allemands sa libération car il était envisagé de lui confier le commandement des troupes au Maroc. Weygand et Nogués sur la scène Nord africaine étaient estimés par les occupants, comme hostiles à toute collaboration entre la France et le Reich.
Cette situation est aggravée pour Juin Commandant en chef de l'Afrique du Nord qui doit se rendre à Berlin pour rencontrer Goerïng. Cette entrevue fait tomber à zéro la cote de Juin . |
A tous les échelons, les responsables civils ou militaires français en Algérie, au Maroc et en Tunisie, se trouvent dans une situation paradoxale : Qu'ils rêvent de reprendre la lutte contre les allemands cela ne fait à peu près aucun doute. Mais qu'en même temps ils soient d'un dévouement absolu au Maréchal Pétain est également certain. Les Anglais depuis Mers el Kébir, (base navale attaquée le 3 juillet 40) Dakar ( 7 et 8 juillet 40) et la Syrie (8 juin au 13 juillet 41) savent que les Français d'Afrique du Nord et spécialement les marins les détestent et que c'est en adversaires qu'ils seront accueillis. Légalistes à l'extrême les responsables en Afrique du Nord sont aussi naturellement anti gaullistes. Le général à leurs yeux n'incarne pas la Résistance, mais l'insoumission.
Les alliés craignent que cette résistance ne permette aux Allemands de se ressaisir et de les renvoyer à la mer. Heureusement, Darlan finit par signer la reddition d'Alger et les alliés obtiennent un arrêt des combats. L'Afrique du Nord passe sous leur contrôle tout en conservant l'administration et les lois de Vichy !
Hitler réagit à l'invasion de l'Afrique du Nord par l'occupation de la «zone libre», en France, en violation des accords d'armistice du 22 juin 1940 avec le maréchal Pétain. C'est l'opération «Attila»... La flotte française en rade à Toulon se saborde le 27 novembre sur ordre de l'amiral Jean de Laborde, pour échapper aux Allemands sans avoir à se livrer aux ennemis traditionnels de la marine française, les Anglais ! (Sur cette diapo qui donne le plan de la rade de Toulon avec la position des bâtiments amarrés on dénombre le nombre de bâtiments coulés droits 41 en vert, 27 chavirés en rouge, 46 intacts en bleu ) La diapo suivante donne une idée du sabordage.
Les Allemands et leurs alliés Italiens occupent d'autre part la Tunisie, protectorat français revendiqué par l'Italie.
Dans le même temps, dans le désert libyen, à el-Alamein, le général Montgomery repousse l'Afrika Korps de Rommel. Pris en tenaille, les Allemands et les Italiens n'ont pas d'autre issue que de se retrancher sur Bizerte, en Tunisie, d'où ils regagneront l'Europe en mai 1943.
Le 12 novembre après quelques tergiversations Darlan décide de prendre la tête d'une sorte de haut commandement politique et de confier le commandement en chef à Giraud qui a enfin rejoint l'Algérie.Pétain et Laval ont beau accuser Giraud de trahison et de forfaiture et prononcer la déchéance d'un certain nombre d'officiers généraux dont Juin ,le virage est pris : l'armée d'Afrique se range dans le camp des alliés. En Tunisie la situation reste confuse,le général Barré reçoit l’ordre du général Juin, commandant en chef des forces françaises en Afrique du Nord, de repousser par la force toute tentative d’intervention des forces de l’Axe en A.F.N. Par contre, l’Amirauté Française ordonnait, le même jour, au Commandant Maritime de Bizerte, de laisser passer sans se mêler à elles, les forces italo-allemandes débarquant en Tunisie. Comme on peut le voir, la confusion était comble. Le général Barré decida de se replier sur la position de couverture, vers l’Ouest, pour y permettre la concentration des forces Françaises.Mais les Allemands ayant débarqué à Bizerte et Tunis, il va falloir reconquérir le territoire.
Le Général Juin est mis en cause par la commission spéciale d'enquête en Tunisie qui lui reproche en sa qualité de commandant en chef de ne pas avoir donné l'ordre d'attaquer les forces allemandes qui ont pu pénétrer en Tunisie où comme nous l'avons souligné régnait la confusion la plus extrême. Mais le chef du CFLN (Comité Français de Libération Nationale) lui maintien sa confiance. Le Général Juin grâce à son aura, garantit le loyalisme des officiers du corps expéditionnaire au CFLN, dont la majorité pourtant, fidèles au Maréchal, se montrent à l'origine hostiles au gaullisme.
Le 10 juillet 1943 a lieu le débarquement en Sicile, le 24 juillet Mussolini est renversé. Il est remplacé par le Maréchal Badioglo qui demande un armistice aux alliés et finit par déclarer la guerre à l'Allemagne le 13 octobre. Entre-temps la Sardaigne a été reconquise et les forces françaises sous les ordres du Général Martin libèrent la Corse entre le 9 septembre et le 4 octobre. Au passage on notera que le Général De Gaulle n'avait pas été informé de l'opération de libération de la Corse. | |
En septembre 1943 les alliés placés sous le commandement allié du maréchal britannique Alexander débarquent au sud de Naples leur objectif est Rome.Sur leur route, la ligne Gustav, (qui apparaît sur la diapo en noir , juste au dessus de la ligne rouge) , coupe l’Italie à travers le massif des Abruzzes et bloque toute avance alliée. Elle est défendue par les 10e et 14e Armées allemandes du maréchal Kesselring |
Le Corps expéditionnaire Français (CEF), commandé par le Général Juin comprend quatre divisions militaires (environ 112 000 h ) constituées en grande partie de soldats issus de l' Armée d'Afrique Le CEF est intégré au XVe Groupe d'armées allié du général Alexander au côté de de la VIII° armée du Général Montgomery et de la VeArmée Américaine du Général Clark.
Le CEF débarque à partir de novembre 43 et est engagé en Décembre 1943 dans la zone des Abruzzes qui apparaît sur cette diapo. Dès le 15 décembre la 2° DIM du général Dody s'empare du Monte Pantano et du massif de la Mainarde. Le Monte Pantano se situe ici au centre de la diapo et est marqué par un petit rectangle rouge. Le sommet du massif de la Mainarde est indiqué par le petit triangle jaune juste au dessus et à droite de la ligne rouge. Les pertes sont lourdes mais ce premier résultat suscite l'admiration des Américains.
La diapo qui s'affiche permet de situer la position des forces françaises dans cet affrontement capital pour la percée de la ligne Gustav (matérialisée par la ligne en rouge la plus à droite) . Les cercles noirs les plus à droite marquent la position de départ des grandes unités de bas en haut la 3° DIA du Général de Montsabert, la 4° DMM du Général Sevez, la 2° DM du Général Dody et la 1ère DFL du Général Brosset.
Le Général de Gaulle considérait cette bataille du Belvédère, conduite par l'armée française seule sur ordre du général Clark, comme l'un des faits d'armes les plus glorieux de l'armée française durant la Seconde Guerre mondiale. Les combats se sont déroulés du 25 janvier 1944 au 4 février 1944 impliquant essentiellement le 4e régiment de tirailleurs tunisiens qui perdra les deux tiers de ses effectifs dans les combats (279 tués, 426 disparus et 800 blessés).
Après cette bataille, Juin repousse les Allemands de la tête de pont sur le Garigliano . Le Garigliano est la rivière sur laquelle s'appuie la ligne Gustav et qui apparaît sur la diapo en bleu. Le général Juin descend dans la plaine avec ses troupes et prend une part active dans l'offensive sur Rome, bien que lui-même eût préféré une ultime bataille à l'Est pour anéantir les Allemands. Il libère les faubourgs Est de la Cité Éternelle et entre dans la capitale aux côtés de Clark. | |
Puis, Juin prend Sienne en juillet 1944. Sienne se trouve ici juste en dessous et à gauche de la ligne Rouge du centre. |
Le CEF est retiré du front en juillet 1944 et ses unité intégrées au sein de l’armée B commandée par le général de Lattre de Tassigny pour débarquer en Provence en août 1944.Le CEF redonne à la France son prestige et son rang de quatrième grande puissance. Sa réputation est néanmoins ternie par l'importance des exactions, ainsi que par les nombreux viols, commis envers les populations civiles qui iront jusqu'à provoquer un scandale diplomatique.
Pour la petite histoire voici quelques personnalités ayant participé à la bataille du Monte Cassino :
Mohamed Oufkir, général et homme politique marocain, a servi comme sous-lieutenant au 4e RTM de la 2e DIM pendant la bataille du Garigliano. Il est cité à l'ordre du Corps d'Armée, décoré de la Croix de guerre 1939-1945 avec étoile de vermeil après la bataille, puis de la Silver Star et de la Légion d'honneur.
Ahmed Ben Bella, premier président de l'Algérie indépendante. Mohammed Boudiaf, quatrième président de l'Algérie indépendante. Alain Mimoun, athlète français vainqueur du marathon des Jeux olympiques de Melbourne en 1956, grièvement blessé au pied par un éclat d'obus lors de la bataille du mont Cassin le 28 janvier 1944, il évite de justesse l'amputation de sa jambe gauche. |
En juillet, appelé à Alger comme chef d'État-Major de la Défense nationale, il transmet le commandement de ses troupes au général de Lattre, qui les conduira durant le débarquement de Provence. Lors de la dissolution du CEF Juin avait dit «Ma carrière est finie» or il va occuper le devant de la scène encore pendant plusieurs années. | |
Ainsi de 1944 à 1947, il occupe le poste de chef d'État-Major de la Défense Nationale, à ce titre. le 25 août 1944, il entre aux côtés du général de Gaulle dans Paris libéré. Mais les deux «petits cos» sont loin d'être d'accord comme en témoigne cette anecdote. | |
En 1945, le général Juin avait eu l'intention de venir témoigner au procès du maréchal Pétain, sous réserve de l'autorisation du général de Gaulle. Il se vit dans l'impossibilité de le faire ; de Gaulle l'ayant envoyé intentionnellement en mission en Allemagne. Il adressa un témoignage écrit en faveur du maréchal alors que les avocats avaient souhaité, à l'origine, sa déposition orale. |
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Au printemps 1947, il choisit de quitter son poste de chef d'état-major de la Défense nationale pour prendre les fonctions de résident général au Maroc qu'il occupe de1947 à 1951. Sa décision est probablement motivée par le départ de de Gaulle en 1946. Il renoue ainsi avec la tradition des généraux résidents. Sur place, il s'oppose au sultan Mohammed ben Youssef et au parti nationaliste, en s'appuyant sur Thami El Glaoui, pacha de Marrakech. Durant ces années, il est sollicité par les gouvernements successifs qui aimeraient le voir revenir en Europe notamment pour exercer le commandement des forces terrestres de la nouvelle Union occidentale, propositions qu'il refuse. |
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De 1951 à 1956, il est commandant en chef du secteur Centre-Europe de l'OTAN l'Organisation atlantique dont le commandant suprême est le général Eisenhower. En mars 1952, alors qu'il s'est toujours tenu à l'écart de la politique, il critique ouvertement le fonctionnement du régime, notamment pour ce qui concerne la question du réarmement. Peu de temps après, il commet un autre éclat en réclamant le transfert des cendres de Pétain à Douaumont. Ses déclarations provoquent des frictions avec les gouvernements en place, mais Juin se garde de tout aventurisme politique. |
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Le 14 juillet 1952, il reçoit le bâton de maréchal de France dont à juste titre il est très fier. |
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En juin 1953, il est reçu à l'Académie française, où fait unique dans les annales de l'institution, il critique son aîné François Mauriac pour ses prises de position au sujet du Maroc. |
En 1954 il est président du Comité de patronage de la Revue Défense Nationale.
En 1955, il s'oppose à l'indépendance du Maroc.Il devient président d'honneur de la Société nationale des anciens et des amis de la gendarmerie (SNAAG).
Sa conception du patriotisme l'éloigne de de Gaulle à qui il signifie son désaccord sur la question algérienne lors d'une entrevue orageuse à l'Élysée. Pour autant, il ne participe pas au putsch des généraux en 1961. Mais son refus de suivre ce qu'il estime être une politique d'abandon incompatible avec la loi et l'honneur lui vaut une mise à l'écart totale de la vie publique par son ex-camarade de Saint-Cyr. Ainsi est-il démis de sa place de droit (du fait de son titre de maréchal) au Conseil supérieur de la Défense nationale, cela par une décision du chef de l'État. Le maréchal Juin est également écarté de toute manifestation commémorative des deux guerres mondiales et privé des prérogatives et avantages dus à son rang (bureau, secrétaire, voiture, chauffeur, etc.) | |
Le Maréchal Juin décède le 27 janvier 1967 au Val-de-Grâce où il avait été transporté quelques jours avant. Le gouvernement décide que des obsèques nationales seraient faites au Maréchal Juin. La cérémonie se déroulera le mercredi 1er février. C'est le moment des phrases de conclusion dont celle de Jean Planchais, dans le monde est peut-être la plus éloquente «Le Maréchal Juin est le symbole d'une armée jetée depuis 1940 de drame de conscience en drame de conscience.» |
Cette phrase résume bien toute la carrière du Maréchal -le sombre chapitre de 1940- 1942, l'angoissant problème de 1943 (Tunisie) et les longs drames de l'après-guerre (Indochine Algérie ). C'est aussi l'histoire d'un Pied-noir très attaché à sa terre natale, d'un loyaliste exemplaire, et d'une force de caractère remarquable. Tel était le Maréchal Juin.
Colonel Gilles LATTES, Président de l'ANOCR 82