LE DEBARQUEMENT EN PROVENCE Colonel Gilles LATTES |
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Anvil Dragoon » tel est le nom de code du débarquement en Provence qui s'est déroulé, à partir du 15 août 1944, entre Toulon et Cannes. |
À l'origine appelée Anvil, ce qui signifie enclume en anglais, le nom a été changé en Dragoon par Winston Churchill qui était contre ce débarquement. Il aurait préféré une percée des troupes déployées sur le front d'Italie vers les Balkans afin de prendre en tenaille l'armée allemande en Europe centrale et d'arriver à Berlin avant les Soviétiques. Il s'oppose notamment à de Gaulle qui menace de retirer les divisions françaises du front italien. Les objectifs de cette opération étaient de libérer Toulon et Marseille afin de disposer de ports en eau profonde puis de remonter le Rhône pour effectuer la jonction avec les forces de l'opération Overlord débarquées en Normandie. Le choix de la zone de débarquement est la Provence, privilégiée pour ses ports en eaux profondes et le relief accidenté de l’arrière-pays qui isole les Allemands.
Voilà donc dressé le cadre de ce débarquement que nous allons découvrir un peu plus en détail.
Voici donc le déroulement de ce débarquement. |
En premier afin d'assurer une couverture des plages durant la nuit du 14 au 15 août les commandos français et américo-canadiens sont déposés sur les flancs du futur débarquement.
Au nord la Force Rosie, composée par le groupe naval d'assaut français du capitaine de frégate Sériot, débarque à Miramar pour couper la route aux renforts allemands venant de l’est.
Au sud, la Force Romeo, avec le groupe français des commandos d'Afrique du lieutenant-colonel Bouvet, débarque de part et d'autre du cap Nègre afin de couper la route aux renforts allemands venant de l'ouest.
La Force Sitka américo-canadienne commandée par le colonel Walker doit détruire les batteries des îles de Porquerolles, de Port-Cros et du Levant situées devant Hyères.
L'assaut aérien est confié à la force rugby du général Robert Frédérick qui avait mission de s’emparer du Muy et des hauteurs de Grimaud afin d’empêcher l’afflux de renforts ennemis depuis l’ouest.
L'assaut naval sera conduit par les trois divisions américaines qui forment la Force Kodak du Général Lucian Truscott. Ces troupes d'assaut sont elles-mêmes divisées en trois forces : |
La Force Alpha du général O'Daniel, composée de la 3°division d'infanterie et de la 1ère division blindée française du général Sudre, doit débarquer du côté Ouest sur les plages de Cavalaire à La Croix-Valmer et de Pampelonne à Ramatuelle. Elle compte 29 432 hommes et 33 370 véhicules
La Force Delta du général William Eagles, composée de la 45°division d'infanterie débarquera à Sainte-Maxime (plage de La Nartelle). Elle aligne 30 900 hommes et 34 700 véhicules
La Force Camel du général John Dahlquist, composée de la 36° division d'infanterie, sera débarquée du côté Est sur trois plages différentes: face à la base d'aéronautique navale de Fréjus-Saint-Raphel, au Dramont et sur la plage d'Anthéor. Elle comporte 29 820 hommes et 35 970 véhicules. | |
La Force Garbo constituera la 2° vague d'assaut qui débarquera à J+1. Commandée par le Général Alexander Patch elle est composée du 6° corps US et de l'armée B du Général de Lattre de Tassigny. Aux côtés de l'armée B se trouvent d'autres unités françaises : le 2° CA du général de Larminat , la 1ère DMI du Général Brosset, la 3° DIA du général Monsabert et la 1ère DB du Général Vigier. | |
En appui et soutien de ce débarquement et des opérations qui ont précédé ou qui vont suivre on trouve les forces aériennes mises à la disposition du commandement soit 2000 appareils auxquels il faut rajouter ceux de l'aviation embarquée à bord des porte-avions alliés. (à l'écran quelques type d'appareils qui ont participé au débarquement de Provence .De gauche à droite des appareils américains: un chasseur mustang, un avion d'assaut Douglas A 26, une forteresse volante Boeing B 17. En bas à gauche des appareils anglais le chasseur Spitfire, le bombardier Avro type 694 Lincoln, un hydravion Fairey Seafox) | |
De son côté la Marine a pris une part importante dans la mise en place de ce débarquement en acheminant depuis l'Italie, la Sardaigne, la Corse et l'Algérie toutes les troupes du débarquement et en fournissant également un appui feu lors du débarquement. Parmi l'armada des 2000 navires mobilisés pour cette opération on dénombrait 4 porte-avions et aussi une trentaine de bâtiments de guerre français.(Ici sur la diapo on note la Présence de la Marine Française intégrée dans le dispositif du débarquemen |
Face aux troupes du débarquement les allemands disposent d'environ 80 000 hommes. Ils contrôlent la façade méditerranéenne de la frontière espagnole à la frontière italienne. Depuis 1943 l’organisation TODT ne va pas cesser de construire toute une série de défenses visant à empêcher tout débarquement allié sur la côte- A l’intérieur, notamment dans les vastes plaines comme celles de la Crau, seront mis en place des obstacles destinés à empêcher tout atterrissage d’avions ou de planeurs, de même dans les plaines du Var et dans l’arrière-pays.
A 0h15 les bâtiments mettent en panne à environ mille cinq cent mètres de la pointe de l'Esquillon. Un avion qui lâche des fusées éclairantes les oblige à remettre les machines en marche et à faire semblant de piquer vers le sud à petite vitesse, mais la mise à l'eau des rubber-boats a lieu au point prévu à 1h15.
Le capitaine de frégate Sériot qui a embarqué sur le premier engin, atteint la terre à 1h40 et reconnaît les points d'accostage. Il ressort de la baie pour lancer les signaux lumineux prévus pour alerter les autres rubber-boats qui foncent vers le sol français. A 2 h 00, une fusée rouge et une fusée blanche montent dans le ciel de l'intérieur des terres et une longue rafale de de mitrailleuse allemande déchire le silence de la nuit provençale. Heureusement, les fusées fonctionnent mal, les Allemands, qui semblent avertis de l'imminence d'une intrusion ennemie, n'aperçoivent pas les commandos.
Pendant que le lieutenant de vaisseau Letonturier débarque son matériel de démolition, le capitaine de corvette Marche prend la tête de la colonne silencieuse. A 2h50, une mine explose sous les pas des commandos.
A noter que le champ de mines venait d'être posé 48 heures plus tôt. L'ORIC (Officier de Réserve Interprète et du Chiffre) Auboyneau est blessé en même temps que deux de ses matelots. (Sur la photo du bas on voit le point d'accostage indiqué par la flèche rouge et la localisation du champ de mines) Deux autres engins-pièges explosent quelques instants après et l'enseigne de vaisseau Servel, du groupe Letonturier, saute à son tour quelque minutes après cette deuxième explosion. Il est tué et la même explosion fauche un second-maître et deux quartiers-maîtres. C'est l'enfer; les commandos infiltrés sont en pleine zone minée. Cinq matelots sont encore blessés et, vers 4h30, c'est au tour de Letonturier de sauter. Il n'est que blessé; un matelot mortellement touché s'écroule non loin de lui. L'opération est désespérée, trois autres matelots tombent encore. Alertés par le vacarme des explosions, les Allemands barrent la route des survivants. Le capitaine de corvette Marche tente de s'échapper, il saute lui aussi sur une mine, son corps roule sur les pentes de la falaise infernale. Refusant de se rendre, risquant le tout pour le tout, les commandos de Chaffiote entraînent les blessés vers la mer. Letonturier saute une seconde fois sur une mine, il a la jambe fracturée. Les blessés ne peuvent pas être descendus sur les éboulis de la falaise. Vingt-cinq survivants seulement regagnent les rubber-boats. Deux avions alliés les prenant pour des allemands piquent et repiquent sur eux, les hommes replongent dans la mer et regagnent à la nage le pied de la falaise où les attendent les soldats Allemands. Tandis que l'ingénieur mécanicien Chaffiote est conduit sans ménagements au PC du général Allemand qui commande les défenses du secteur, les blessés sont entassés dans une villa au-dessus des champs de mines. Une unité F.F.I.,alertée par deux civils, attaque l'escorte des prisonniers valides sur la route de Grasse et une dizaine de commandos réussissent a s'évader dans la confusion de l'embuscade pour rejoindre les unités américaines qui débarquent. Au cours de cette nuit dramatique, le groupe naval d'assaut a perdu deux officiers, deux Oficiers-Mariniers et six hommes d'équipage ainsi que dix-sept blessés. Vingt-huit hommes restent aux mains des Allemands. Ce sera le plus sanglant échec du début du débarquement
La Force Roméo du groupe français des commandos d'Afrique du Lieutenant-colonel Bouvet comptait environ sept cents hommes.
Enfin elle devait s'assurer de la maîtrise de la route du littoral, la départementale 554, conduisant à Cavalaire où aurait lieu le débarquement de la 1ère Armée Française.
C'est une vedette canadienne qui indique le cap des LCA : elle se trompe de deux degrés cette erreur va mettre une pagaille incommensurable sur les plages prévues pour le débarquement.
Le capitaine Marcel Rigaud et l'enseigne de vaisseau Johnson, de la Royal Navy sont les premiers à débarquer, pour guider depuis la côte la flottille de LCA.
Rigaud, a été retenu car connaissant le mieux l'endroit : avant-guerre, il y passait ses... vacances. Il touche Le Rayol, à 00h30, après avoir compris l'erreur de navigation induite par les Canadiens.
L’aspirant Jeannerot débarque, lui, sur une position allemande. Il se retrouve à Aiguebelle à 4 km du Cap Nègre.
Un autre groupe commandé par l’adjudant Texier aborde plus à l’Ouest de l’anse du Rayol vers le tunnel du Canadel et se heurte à une patrouille allemande- L’adjudant Texier est tué. Il est le premier mort de ce débarquement
A 1 heure 50 les premiers éléments du gros des Commandos abordent sur la plage du Canadel soit à deux kilomètres de l’endroit prévu; rapidement à terre les commandos et malgré la distance à parcourir, coiffent leurs objectifs sur la route et la voie ferrée.
Comme nous venons de le voir la couverture de la zone de débarquement a été assurée par les commandos mis en place au cours de la nuit.
Voici quelques vues de ce débarquement. (les premiers éléments touchent terre – le débarquement à Saint Tropez) |
Moins d’une heure plus tard, la Force Alpha a neutralisé les défenses côtières et dès l’après-midi les jonctions avec les autres secteurs de la Force Kodak sont réalisées. Cogolin, Grimaud, Ramatuelle et Saint-Tropez sont libérées dans la journée. Dans la soirée, la Force Delta a rejoint les parachutistes de la Force Rugby. Le soir du 15 août, la tête de pont est presque réalisée de part et d’autre de Fréjus. Aussitôt son débarquement réussi, le 6° Corps de Truscott doit assurer le débarquement de sa puissante artillerie dont 22 Bataillons d’Artillerie de campagne, 15 Bataillons de DCA, 3 Bataillons motorisés de mortiers chimiques, ses unités blindées d’appui les unités du Génie, les hôpitaux de campagne, les unités d’ordonnance, etc.
Il a notamment pour mission de participer à la conquête du Massif des Maures en rejoignant les unités parachutistes avant de se lancer vers Les Bouches-du-Rhône, les Basses-Alpes (Alpes-de-Haute-Provence) et le Vaucluse.
L'objectif était de débarquer et de constituer une ligne de front de vingt-cinq kilomètres de profondeur (appelée Blue Line), puis d’avancer vers la vallée du Rhône et de prendre contact avec le 2° corps d'armée français.
Dès le 17 août au matin, la « Blue line » (matérialisé ici sur cette diapo) est atteinte en tout point et même dépassée. |
Une petite parenthèse sur un aspect peu évoqué et pourtant capital. On parle rarement de la logistique, cependant quand on voit l'important volume des forces et des matériels engagés on a du mal à envisager ce que représente l'effort logistique d'une telle opération. En amont les calculs ont dû être réalisés et une planification rigoureuse établie pour soutenir sanitairement et nourrir plus de 300 000 hommes ravitailler en carburant plus de 500 chars (dont la consommation est de 400 l aux cents km) et des milliers de véhicules, approvisionner en munitions plus de 1000 canons pour ne citer que les principaux besoins des combattants. Le ratio généralement admis en logistique: c'est que pour un combattant il faut compter 7 personnes affectées au soutien.
C’est la 1ère Compagnie du 3e RTA du Lieutenant Alland qui entre la première dans Toulon. En même temps, des éléments mécanisés atteignent Bandol. Le 21 toujours, Linarès déclenche son attaque par l’Ouest avec Tirailleurs, blindés et Bataillon de Choc. L’assaut est particulièrement violent, Français et Nord-Africains devant combattre de haute-lutte pour s’emparer de la Poudrière, de la batterie du Mont Faron et de la Porte Castigneau. Le tout avec des pertes. Mais en même temps, les FFI du Capitaine Savari passent à l’action à l’intérieur de Toulon et viennent semer la confusion chez les Allemands. Grâce à leur intervention, les hommes du 1er Choc parviennent à pénétrer dans Toulon pour s’emparer du Lycée Napoléon mais ils ne peuvent aller plus loin.
De son côté, les Tirailleurs Sénégalais et l’Infanterie Coloniale appuyés par le 5e Chasseurs d’Afrique occupent le massif du Touar –
Le 23, la 1re DFL contrôle définitivement le Pradet et la 9°DIC entre dans Toulon pour effectuer la jonction avec les FFI et le Groupement de Linarès. Les combats font rage pendant toute une partie de la journée. Tirailleurs, Spahis, Sénégalais et Commandos font la course pour savoir qui hissera le drapeau français place de la Liberté. Durant l’après-midi, de Lattre, André Diethelm Commissaire de la République du GPRF (Groupement Provisoire de la République Française) et le Major américain Bullitt viennent assister à une cérémonie de Libération qui ne mobilise pas la population toulonnaise étant donné la poursuite des combats. Plusieurs forts et bunkers restent aux mains des Allemands. Il faut donc encore trois jours aux unités françaises pour s’emparer successivement des Forts de Sainte-Catherine, d’Artigues, du Malbousquet et du Clos Mayol.
(Là où se situe ND de la Garde) Il s’agit en effet d’un point haut à partir duquel, retranchés dans des abris souterrains, les Allemands coordonnent les tirs de leurs batteries du Frioul, de la Côte Bleue et de l’Estaque.
La bataille s’annonce pourtant des plus incertaines car, face à de Montsabert, le général Schaefer peut compter sur près de 16 000 hommes. Les allemands pour la plupart sont retranchés à la gare Saint-Charles, (en plein centre-ville) autour de la basilique de la Garde, dans les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas,
Le bilan humain est lourd : 106 FFI sont morts au combat mais aussi de nombreux civils qui les avaient rejoints. Quant aux résistants qui préparaient l’arrivée des forces alliées, 38 ont été assassinés les 18 juillet et 12 août dans les bois de Signes. En ville, près de 8 000 habitants ont été tués au cours de sept bombardements et 3 054 sont morts en déportation. Quant à la 3e DIA, elle déplore la perte de près de 500 hommes, officiers, goumiers, tirailleurs et cuirassiers.
Le 28 août, c'est l'épilogue: le Général allemand Schaeffer, commandant le secteur fortifié de Marseille, fait hisser le drapeau blanc sur le fort Saint-Nicolas et se rend avec le reste de ses troupes. Ainsi, dans le même temps, Toulon, objectif essentiel des opérations des Armées alliées dans le Sud de la France, aura été conquise en 6 jours, et Marseille, dont les plans initiaux n'envisageaient l'attaque que deux mois après le débarquement, sera tombée en 8 jours : la bataille de Provence est gagnée avec plus de 60 jours d'avance sur le calendrier prévu.
On ne peut évoquer le débarquement en Provence sans parler de la contribution des résistants FFI et FTP qui ont apporté un soutien non négligeable en particulier dans les parachutages et dans la libération des villes de Toulon et de Marseille. Ils ont aussi guidé différentes unités dans leur progression dans l'arrière-pays varois.
*A ce sujet une petite parenthèse. Rappelons pour la petite histoire mais aussi par devoir de mémoire que 7 Reyniésiens issus du maquis de Cabertat et, après la libération de Montauban, ont rejoint, du côté d'Orange, cette armée B où ils ont été incorporés au 3° Hussard. Il s'agit des 4 Jeannot Jeannot Bonnet, Jeannot Garcia, Jeannot Méric, Jeannot Soussirac, et d’Henri Verdu, Pierre Issard et Georges Juhaz. Ce dernier faisait partie des réfugiés accueillis à Reynies en 1940. Engagés pour la durée de la guerre ils sont revenus à Reyniès à l’issue. Georges Juhaz est resté dans l'armée.Henri Verdu suite au froid intense qui régnait dans les Vosges a eu une pleurésie. Hospitalisé à l'hôpital de Remiremont il y décéde le 24-12-44 des suites de la maladie contractée sur le front. Son nom figure sur le monument aux morts de Reyniès. (Refermons la parenthèse)
Cette diapositive résume parfaitement l'opération Anvil Dragoon. Elle retrace l'assaut naval et l'assaut aérien, les batailles de Toulon et Marseille et simultanément la poursuite des opérations en direction de la vallée du Rhône.
En faisant le bilan de ce débarquement, on notera que le 25 septembre, date de fermeture de la dernière plage, on dénombrait 324 069 hommes, 68 419 véhicules et 490 237 tonnes de ravitaillement débarqués. Cette opération «Anvil Dragoon» démontre ainsi le succès et la nécessité de de ce débarquement en Provence en ouvrant de fait un deuxième front pour libérer notre pays et que vive la France.